Troisième temps – Écrire
Dans ce troisième et dernier épisode nous allons nous intéresser plus particulièrement aux diverses formes d’écriture ; écrire le scénario, composer un texte, faire parler des personnages et mettre le tout en scène. Tous les exemples recensés dans cette troisième partie sont des possibilités, des incitations afin d’enrichir votre bande dessinée.
1 Avoir un scénario
– Le scénario peut avoir comme point de départ
o Des textes déjà existants que vous adaptez un roman, une pièce de théâtre. Il s’agit ensuite de bien choisir les passages, de réinterpréter les textes en fonction de la mise en images et d’éliminer ce qui va encombrer ou ralentir le rythme des dessins. Ne pas être trop respectueux pour réinventer le roman ou la pièce de théâtre en regard de votre dispositif de bande dessinée. Passer d’un médium à un autre c’est à la fois traduire et trahir l’œuvre choisie pour en être plus fidèle à l’esprit.
o Les journaux avec les faits divers, les récits politiques, les différents regards sur l’actualité.
o Une biographie, voire la vôtre, un journal (type diary), des récits familiaux, des journaux de voyage, des nouvelles…
o La poésie avec de courts poèmes
o Vos propres récits avec votre quotidien et ses petits riens, des histoires absurdes avec de la fantaisie et du non sens…Tout est possible en dessin, donc pas de frein à vos propositions et à votre imagination.
2 Comment procéder
Vous travaillez seul ou vous travaillez à deux en échangeant vos perceptions, intentions pour créer une dynamique de partage.
Méthodes possibles de travail
– Selon les surréalistes avec la méthode des “cadavres exquis ”.
Elle consiste à commencer une phrase sur un morceau de papier puis à passer la feuille à votre partenaire en cachant le texte pour qu’il poursuive sans rien connaître. Au bout de plusieurs échanges vous dévoilez le résultat. Vous serez alors en présence d’un texte étrange qui peut donner lieu à une bande dessinée.
– Selon les contraintes littéraires chères à Raymond Queneau et à l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Cette méthode des contraintes oulipiennes est explorée au sein du groupe l’Oubapo fondé en 1992 (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle)
Exemple : prendre un dictionnaire, l’ouvrir au hasard, choisir un mot et décider de construire un récit en prenant les mots, les verbes qui se trouvent placés à sept, à dix, ou à douze places plus loin. Pour vous déplacer de mots en mots vous pouvez vous servir de dés et prendre le nombre de points pour effectuer vos sauts d’un mot à un autre. À partir des mots récoltés vous établissez un récit.
Une autre proposition : prendre un petit texte et le réinterpréter suivant des styles différents (cf le livre “Exercices de Style ”de Raymond Queneau) et mettre en dessin ces multiples variations juridiques, sportives, culinaires…
Jochen Gerner, membre de l’Oubapo, a tenté une expérience avec un ouvrage intitulé TNT en Amérique où il laisse apparaître des signes à travers de grands aplats noirs qui de page en page élaborent une histoire dans la nuit de l’encre. Par ce geste il nous fait imaginer ce qui se trame sous cette nuit où naît une constellation de signes.
Liens internet :
http://www.du9.org/dossier/tnt-en-amerique-une-radiographie/
http://www.galerieannebarrault.com/jochen_gerner/tnt.html
A partir de Jeux de mots
Les jeux de mots peuvent être la source de textes, le point de départ d’une aventure langagière formée sur l’ambiguïté de la perception sonore d’une phrase où d’une lettre. L’écrivain Raymond Roussel (1877-1933) invente des récits où il crée une histoire à partir de trois bandes de billards et trois bandes de pillards (“Impression d’Afrique ”, “Comment j’ai écrit certains de mes livres”). Le déplacement d’une lettre de B à P est le début d’un voyage vers des contrées inconnues.
Les séquences narratives du Sapeur Camember, bande dessinée de Christophe, sont construites sur des déformations du langage. Le plaisir est dans cet écart entre deux mots presque semblable. Tout un monde se forme et Christophe nous fait goûter sa joie à jouer sur les mots par des petites saynètes. Dans l’histoire “Ce que c’est que l’accent” le Sapeur entend la cantinière dire que le colonel “ il é grivé”. Le Sapeur pense immédiatement à la mort du colonel (grivé /crevé) alors qu’il est simplement en train d’écrire. Et la servante de préciser à la fin de la planche “ Il égrivé … avec une blume, quoi !”
Liens internet :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6356474v.
Les calembours, contrepèteries peuvent être les bases d’histoires mais tout est une question de mise en images, de mise en forme. Vous tenez ici une possibilité de récit dans cette approche sonore et décalée de la langue.
3) Comment écrire
Quelle typographie prendre ? Se servir d’une typo toute faite ou dessiner sa typographie ? Ce sont des questions majeures qui se résolvent en fonction de vos choix d’histoire.
Beaucoup de dessinateurs décident, pour créer une unité avec le dessin, de dessiner les lettres. Hergé invente une typo qui lui est propre. Dans la “Revue de Presse” de Willem du journal Charlie hebdo, le texte est aussi du dessin.
Une typographie mécanique donne plus de distance et peut se comprendre comme un regard extérieur, une voix off, ou un sous titre presque cinématographique.
Liens internet :
http://satyres.over-blog.com/article-complet-willem-1983-preface-de-gebe-120782239.html
http://willem.mm.free.fr/plaisir.htm
4) Où placer les textes
Quel parti pris prendre pour placer les textes ?
a) Dans l’image avec les phylactères et les bulles
– Les phylactères, sorte de rubans qui matérialisent la parole divine dans les textes sacrés. Certains caricaturistes se serviront de ces phylactères pour faire parler leurs personnages. Le caricaturiste anglais James Gillray (1757-1815) demeure un des spécialistes de cette discipline.
Liens internet :
http://numerique.bibliotheque.toulouse.fr/cgi-bin/superlibrary?a=d&d=/ark:/74899/B315556101_RD16_0325_001R#.Vmgpy3uM9GQ
https://orwellwasright.wordpress.com/2012/06/15/the-satirical-cartoons-of-james-gillray/
http://exhibits.hsl.virginia.edu/caricatures/en7-excess/
https://www.rc.umd.edu/editions/nobody/HTML/images
– les bulles, qui peuvent prendre toutes les formes possibles rondes rectangulaires, gonflées, démesurées ….Deux exemples bien différents : les bulles sobres d’Hugo Pratt dans Corto Maltèse ou les bulles des logorrhéiques déclarations d’Achille Talon de Greg
– Liens internet :
http://www.achilletalon.fr/greg.htm
b) Sous le texte
À l’instar des images d’Èpinal ou des premières bande dessinées le texte peut se situer en dessous de l’image : Rodolphe Töpfer (Monsieur Cryptogame 1843) , Louis Forton ( Les Pieds Nickelés 1908) et bien d’autres auteurs ont choisi cette option qui donne la possibilité d’un texte plus abondant, plus copieux. Le texte en regard de son importance peut raconter une autre histoire que l’image et créer un dérapage. Des auteurs contemporains, comme Denis Jourdin revisitent ce mode narratif.
Liens internet :
http://www.topffer.ch/
http://www.actuabd.com/Les-Pieds-Nickeles-ont-100-ans
5) Comment faire parler les personnages
– La lettre, les lettres peuvent devenir aussi importantes que les personnages et devenir des acteurs agissants. Dans la bande dessinée le “Sergent Laterreur” (1971) de Frydman et Touïs les lettres se font entendre et nous percevons les éructations des héros.
Chez Denis Jourdin les mots sont sur la bouche. IIs font partie du corps du personnage et dévoilent à pleines dents leurs paroles.
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Liens internet :
http://bdoubliees.com/journalpilote/series5/laterreur.htm
http://www.du9.org/chronique/sergent-laterreur/
http://parle.cmcas.com/wp-content/uploads/sites/67/2015/10/5-Strip-CCAS-3.jpg
– Des icônes : des personnages de bande dessinée peuvent refuser de parler avec des lettres et opter pour des icônes. Certains héros poussent la plaisanterie jusqu’à parodier les codes iconiques de certaines actions de la bande dessinée comme ceux du sommeil, du bruit, de la colère, de la violence, de la vitesse…Le dessinateur Saul Steinberg (1914-1999) excelle dans ce travail sur la graphie images/mots.
Liens internet :
http://www.saulsteinbergfoundation.org/gallery.html
Et pour finir…Si vous voulez aller plus loin, plongez vous dans l’univers des artistes dont l’œuvre ouvre de nouveaux champs dans les possibles rêvés/réalisés de faire des bandes dessinées :
– L’artiste suisse Armand Schulthess (1901-1972) se retire du monde dans les années 1950 et aménage dans le Tessin “un jardin encyclopédie” où il accroche aux arbres avec des fils de fer des centaines de milliers de plaques de métal sur lesquelles il inscrit des textes composant un immense livre déployé dans la nature
– Le mouvement lettriste dans les années 1950 pense qu’écrire peut se faire sur tous les supports, vêtements, meubles, murs. Les lettristes pensent même un livre, un roman que l’on peut lire d’une rue à une autre.
Sur ces utopies de bandes dessinées grandeur nature, bon travail à tous…
Illustrations :
http://le-corpus.com/atlas/atlas-armand-schulthess.html
http://www.artbrut.ch/fr/21004/1059/auteurs/schulthess–armand
http://le-corpus.com/atlas/atlas-armand-schulthess.html
http://www.artbrut.ch/fr/21004/1059/auteurs/schulthess–armand
À vous maintenant d’essayer ce vertige complexe.
Alors n’hésitez plus, faites-nous parvenir votre BD à l’adresse suivante : CCAS.lesparle@asmeg.org en précisant l’objet « Festival de BD ».
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