En aveugle

 

On me présente le souffleur, on me bande les yeux et c'est parti bienvenue dans le monde des non voyants, pendant 1h30, je vais vivre l'expérience. Et là quelle fragilité!  Je n'ai plus de repère, j'ai peur du vide, ce qui me raccroche c'est uniquement ma main posée sur l'épaule du souffleur.

Je dois faire 30 m dans le noir passer au milieu des gens monter les marches du gradin et arriver au 3eme rang sur la droite. Ca me paraît énorme, je souffre en silence: je me suis engagée, je ne vais pas me dégonfler là !

J'entends les voix  circuler autour de moi, et toujours ma main sur cette épaule et la voix du souffleur qui guide: "attention une marche , la barrière à gauche voilà, elle s'arrête."

Ouf je suis assise !

Le répit est de courte durée, les autres personnes du public s'installent. J'ai l'impression d'etre devenue invisible, les gens me bousculent, je ramasse en tatonnant mon panier. Je ne les vois pas et n'arrive pas à éviter leur contact.

Le souffleur me donne les consignes: appuyer sur mon bras lorsque vous voulez plus de détails… et précise: ne me demandez pas les couleurs je suis daltonien". J'écouterai en noir et blanc ! On se rapproche presque tête contre tête, il averti mes voisins "on ne discute pas , on souffle" et le spectacle commence.

Les éclats de voix, les sons sont tous sur ma droite, j'ai perdu la notion de  l'espace mais les mots résonnent particulièrement. Enl'absence de distraction visuelle, mon attention se concentre sur ce qui est dit.

J'assiste à l'agonie , la mise à mort d'un homme dans le cadre du travail. Il est est évincé, mis à l'écart, humilié et pour finir  désespéré.Ill se tue dans les vestiares, dans son costume de Donald (me dit mon souffleur !) tachant la robe de Blanche Neige.

Mais le spectacle doit continuer et la parade se met en mouvement, les enfants attendent… La vie de cet homme ne compte pas pour cette entreprise, les employés semblent interchangeables , même les décideurs peuvent se retrouver broyés par la machine. Cette fiction qui oscille entre comédie grinçante et drame sanglant se rapproche malheureusement  de la réalité. Pour preuve,  les récents faits divers: on se pend, on s'immole en entreprise mais la vie continue, les collègues vont travailler il n'y a pas d'arrêt …

C'est effrayant .

La musique légère, c'est la fin, j'applaudis et là j'enlève le bandeau, Je  suis rassurée : je vois !

Merci monsieur le souffleur pour ce moment magique et merci aux artistes de nous confirmer qu'il faut de toute urgence s'interroger et agir pour ne plus laisser la machine nous broyer.

 

Au pays des
Compagnie Théâtre du Rictus
Contre Courant 2012

 

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?